Alienation, quand l'humain s'éloigne de sa vraie nature

En ce jour de mars 2020, je contemple une humanité qui entre dans une crise inédite. Des nouvelles anxiogènes reflètent l'état général de panique et de chaos. Les frontières se ferment, je n'ai plus accès à mon atelier en France voisine ainsi qu'à mon jardin d'Eden. Ce matin-là, cette série Aliénation surgit de la terre, des arbres et des oiseaux qui se réveillent au printemps ignorant tout de la catastrophe qui se profile. Ces œuvres naissent, l'une après l'autre, comme un cri salvateur. Elles verdissent mon âme d'espoir et de lumière et contrastent avec le macabre ambiant. Je me rappelle du film "Demain" de Cyril Dion et Mélanie Laurent et je souris, encouragée, car la beauté ne cessera d'être une réponse aux pires crises de l'humanité.

Ce matin-là, la lumière inespérée du mois de mars pénètre les moindres recoins de la terre inondée la veille. La graine a germé et une tige verdâtre porte, comme un trophée, des feuilles d'un vert foncé prêtes à exploser la carapace de la semence. Je suis ahurie, transposée et émerveillée devant cette métamorphose qui dépasse largement ma compréhension. Hier encore, je tenais cette graine dans la main comme une forme inerte et sans potentiel.
La vie se nourrit de la beauté. La vie va vers la vie en abondance. Tout dans la nature qui m’entoure désire se reproduire avec des pulsions herculéennes. La vie ne compte pas les échecs, elle n’argumente pas, elle ne déprime pas, elle ne s’arrête pas, elle ne se pose pas de questions. La vie s’engloutit dans chaque espace cellulaire disponible pour resplendir. Elle ne cesse de croire et de recommencer.

Et là, je comprends que l'essentiel que nous ayons à faire c'est de vivre"*1

J’ai hérité de mes ancêtres le troublant désir de vouloir résoudre l’équation de la condition humaine ; en recherchant le vrai potentiel de l‘humain qui semble amoindri dans l’espace-temps de la matière et agrandi dans l’espace-temps de l'esprit. Ce mystère présent dans le rêve, issu de l’imagination, dépasse la limite du corps physique et projette l’humain dans une ambivalence entre son identité et ses réelles capacités. Depuis la nuit des temps, l'équation se dérobe à l’adulte et se dévoile solennellement à l'enfant qui croit encore à la magie.

Cela fait bien longtemps que je me suis rendue compte que les raisonnements génèrent peu de ressources pour m’aider à mieux vivre ou à mieux peindre. La nature enseigne les secrets de la vie et Leonard de Vinci soutient que tout son travail est le résultat d'une longue observation de cette nature. L'avancement technologique permet une vie parallèle à notre organisme, créé initialement pour se nourrir de la beauté. Cette aliénation se traduit dans nos choix environnementaux, où nos besoins essentiels sont altérés et guidés vers une existence virtuelle.

La beauté sauvera le monde"*2

*1 Masanobu Fukuoka, La voie du retour à la nature,
*2 Fiodor Dostoïevski, L'Idiot, 1868

Alienation, when humans live estranged from their true nature

On this day of March 2020, I contemplate humanity entering an unprecedented crisis. Anxiety-prone news reflect the general state of panic and chaos. The borders are closing; I no longer have access to my studio in neighboring France and my Garden of Eden.
That morning, this Alienation series emerges from the earth, the trees, and the birds that wake up in the spring, ignoring the looming catastrophe. These works are born, one after the other, like a redeeming cry. They soothe my soul with hope and light in contrast to the morbid environment. I remember the movie "Demain" from Cyril Dion & Mélanie Laurent and I smile, encouraged because beauty will never cease to be a response to humanity's worst crises.

And then, there was that morning when the unexpected light of March penetrated every nook and cranny of the earth flooded the day before. The seed germinated and bears a greenish stalk, like a trophy, dark green leaves ready to blow up the seed shell. I am bewildered, transposed and, amazed at this metamorphosis, which is far beyond my comprehension. Just yesterday, I held this seed in my hand like an inert form, ignoring its potential. Life feeds on beauty. Life goes towards life in abundance. Everything in nature that surrounds me desires to reproduce with Herculean impulses. Life doesn't count failures, doesn't argue, it doesn't get depressed, it doesn't stop, it doesn't ask questions. Life engulfs every available cellular space to shine. It keeps believing and starting over.

And there, I understand "that the main thing we have to do is to live" *1

This upheaval mercilessly terminates years of conditioned training, with tormented questions, suffocating theories and chimerical standpoints. I am naked in front of the immensity of nature organized according to a model that exceeds my human intelligence. Only yesterday, I swallowed up any scientific truth that pretentiously dissects every single quark, desensitized from any power of contemplation.

I inherited from my ancestors a disturbing desire to solve the equation of the human condition; to discover the true potential of human beings that seems to be diminished in the time-space of matter and enlarged in the time-space of the spirit. This mystery, present in our dreams, emerges from the imagination that goes beyond the limits of the physical body, placing human beings in an ambivalent posture towards their identity and real capacities. Since the dawn of time, the equation has eluded the adults to reveal itself to the child, who solemnly believes in magic.

It has been a long time since I realized that reasoning generates few resources to help me live better or paint better.Nature teaches the secrets of life, Leonardo da Vinci has stated that all his work was the result of a long observation of nature. Technological advancements allow a parallel life to our organism, initially created to feed on beauty. This alienation mirrors our environmental choices, where our basic needs are altered and guided towards a virtual existence.

"Beauty will save the world" *2

*1 Masanobu Fukuoka, The Way Back to Nature, 1975
*2 Fyodor Dostoyevsky, The Idiot, 1868